Au regard des décisions rendues en matière de loyers commerciaux, on ne peut que constater que la jurisprudence est partagée entre les décisions rendues qui donnent raison aux bailleurs et celles qui donnent raison aux preneurs.

Tout d’abord il faut rappeler qu’aucune des mesures prises par le gouvernement pour réglementer les conséquences économiques liées aux fermetures imposées et confinements n’ont visé à suspendre l’exigibilité des loyers commerciaux. 

Seule a été prévue l’impossibilité pour le bailleur de faire jouer la clause résolutoire du bail pendant les périodes de fermeture (article 4 de l’ordonnance n°2020-36 du 25 mars 2020). 

Ainsi donc de nombreuses décisions se sont prononcées en faveur de l’exigibilité des « loyers covid » (TJ Paris, 10 juillet 2020, n°20/04516 ; TJ Annecy, 7 septembre 2020, n°20/00275 ; TJ Amiens, 16 septembre 2020, n°20/00174 ; TJ Paris, 18 septembre 2020, n°20/54327). 

Le président du tribunal judiciaire de Grenoble a précisé que « les diverses décisions gouvernementales et ordonnances prises pendant les périodes de fermeture contraintes ont encouragé, dans un esprit de solidarité, les bailleurs à s’entendre avec leurs preneurs sur les aménagements de paiement, remises ou autres mesures d’accompagnement des entreprises les plus en difficulté, sans toutefois donner de caractère impératif auxdits accords » (TJ Grenoble, 16 décembre 2020, n°20/01798).

Il ressort de l’analyse des décisions rendues que les principaux arguments soulevés par les preneurs pour échapper au paiement des loyers commerciaux sont les suivants : 

1. La force majeure

Ce moyen est pour l’essentiel écarté.

Certaines décisions ont rejeté ce moyen en rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle : « le débiteur d’une obligation de paiement d’une somme d’argent ne peut pas s’exonérer de cette obligation en invoquant la force majeure) (TJ Paris, 17 juillet 2020, n°20/50920 ; TJ Annecy 7 septembre 2020, n°20/00275 : TJ Paris, 26 octobre 2020, n°20/53713 ; TC Paris, 11 décembre 2020, n°2020035120). 

D’autres décisions reprochent au preneur de ne pas rapporter la preuve de ses difficultés financières (TJ Paris, 16 septembre 2020, n°20/80985 ; CA Grenoble, 5 novembre 2020, n°16/04533 ; TJ Nantes, 10 décembre 2020, n°20/00877). 

D’autres encore ont considéré que l’activité commerciale, même si elle était perturbée, demeurait possible (TJ Paris, 3 novembre 2020, n°20/80984). 

Le président du tribunal de Toulouse quant à lui a considéré que « au regard fu caractère absolu de la fermeture des commerces non essentiels et de l’absence totale de rentrée d’argent pendant une période de deux mois », la question de la force majeure était sérieuse. Ainsi sans se prononcer, le président du tribunal a renvoyé l’affaire devant le juge du fonds (TJ Toulous, 26 novembre 2020, n°20/01121, en ce sens également, TJ Paris, 3 décembre 2020, n°20/57416 ; TJ Bordeaux, 25 janvier 2021, n°20/01392 ; TJ Bordeaux, 25 janvier 2021, n°20/447). 

2. L’exception d’inexécution

Le président du tribunal judiciaire de Limoge a fait droit aux demandes d’un preneur en considérant que le bailleur avait manqué à son obligation de délivrance des locaux. Il a considéré que l’inexécution de l’obligation essentielle du bailleur était ainsi caractérisée (TJ Limoges, 31 juillet 2020, n°20/00387). 

Au contraire, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire d’Angers a considéré qu’aucun manquement ne pouvait être imputé au bailleur : « il n’est pas démontré un manquement du bailleur à ses obligations qui entraînerait une impossibilité absolue pour le preneur d’utiliser les lieux loués conformément à la destination du bail » (TJ Angers, 28 août 2020, n°11 20-594). 

D’autres décisions ont renvoyé cette question à l’appréciation du juge du fonds (TJ Versailles, 9 octobre 2020, n°20/00558 ; TJ Grasse, 22 octobre 2020, n°20/01120 ; TJ Paris, 27 novembre 2020, n°20/56191 ; TJ Paris, 21 janvier 2021, n°20/58571). 

Le président du tribunal judiciaire de Paris quant à lui a considéré que « le conteste sanitaire ne saurait en lui-même générer un manquement par le bailleur à son obligation de délivrance, ces circonstances ne lui étant pas imputables » (TJ Paris, 26 octobre 2020, n°20/53713 ; TJ Paris, 26 octobre 2020, n°20/55901).

Enfin le tribunal de commerce de Paris a considéré que la fermeture administrative n’empêchait pas la mise en place de la vente à emporter de sorte qu’aucun manquement ne pouvait être reproché au bailleur (TC Paris, 28 octobre 2020, n°2020018320).

Par ailleurs, le président du tribunal judiciaire de Paris a considéré que l’exception d’inexécution devait être appréciée au regard de la bonne foi des parties et non de l’obligation de délivrance du bailleur (TJ Paris, 21 janvier 2021, n°20/55750).

3. La perte de la chose louée

Ce moyen a été retenu par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris pour libérer le preneur de son obligation de payer le loyer (TJ Paris, 27 octobre 2020, n°20/81640 ; TJ Paris, 20 janvier 2021, n°20/80923). 

Il a toutefois été refusé par le tribunal de commerce de Paris (TC Pairs, 11 décembre 2020, n°202003520).

4. L’imprévision

Ce moyen a été retenu par le président du tribunal judiciaire de Paris qui a considéré que le maintien de mesures de police pendant la période de réouverture à la charge des restaurants et ayant empêché le redémarrage de son exploitation pouvait justifier qu’un preneur se prévale de la survenance de circonstances imprévisibles (TJ Paris, 21 janvier 2021, n°20/55750).

Le juge du fond du tribunal judiciaire de Paris a, quant à lui, jugé que « les parties sont tenues de vérifier si les circonstances exceptionnelles ne rendent pas nécessaires une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives » (TJ Paris, 10 juillet 2020, n°20/04516 ; TJ Paris, 18 septembre 2020, n°20/543327 ; TJ Paris, 126 octobre 2020, n°20/55901 ; solution reprise par TJ Limoges, 31 juillet 2020, n°20/00387 ; TJ Aix-en-Provence, 22 septembre 2020, n°20/482).

Le tribunal de commerce de Paris, quant à lui, a rappelé  que « seul doit être examiner le principe de bonne foi qui doit présider à l’exécution d’un contrat » (TC Paris, 11 décembre 2020, n°202008085).

5. Synthèse

En définitive, la force majeure est pratiquement toujours exclue. 

Il en va de même de l’exception d’inexécution aussi puisque les fermetures administratives ne sont pas imputables au bailleur.

La perte de la chose louée n’est pas non plus fréquemment soulevée ni retenue par les juridictions pour exonérer un preneur du paiement de ses loyers.

L’imprévision, quant à elle, sans fonder une exonération de loyers, permet d’inciter les parties à négocier de bonne foi pour trouver un terrain d’entente.